Samedi 17 avril 2010 à 20:19

Toute la matinée, il s'évertua à faire en sorte de ne jamais se trouver seul avec moi. Je savais parfaitement qu'il ne craignait pas cette éventualité. Il feignait l'affliction à merveille, mais je le sentais très détendu, soulagé même, en tout cas amusé par cette comédie du deuil qu'il jouait depuis l'aube. En réalité, je reste persuadé qu'il s'assurait de ce que j'étais capable de m'infliger pour ne pas le trahir. Il avait su à la seconde où nos regards s'étaient croisés que j'avais compris. Il avait lu dans mes yeux la terreur et le reproche, là où ses parents n'avaient vu que compassion et peine sincère pour cette enfant prématurément rappelée à Dieu.

Le monde, dès cet instant, m'avait paru invraisemblablement absurde; j'avais l'impression de me trouver au cœur d'un mauvais drame au scénario mal ficelé. Comment Zimmer pouvait-il sous-estimer à ce point la haine que Sven lui portait? Comment pouvait-il ne pas mettre cette haine en rapport avec la mort de sa fille? Sven le détestait ouvertement, et avait prouvé à plusieurs reprises que les limites de sa soif de justice se trouvaient bien loin par-delà le bien et le mal. Je savais que le respect de la vie humaine était à ses yeux un fatras de foutaises qui ne méritaient pas qu'il s'y attardât. Et Zimmer, qui l'avait élevé pendant dix ans, devait en théorie le savoir mieux que moi. L'intrigue ne semblait pas crédible, et Sven me faisait l'effet d'un acteur beaucoup trop bon auquel l'on aurait donné un rôle dans une mauvaise pièce, afin qu'il en remontre au reste de la troupe. Quand j'avais appris la mort de la fillette, j'étais persuadé que les soupçons de Zimmer se porteraient directement sur Sven, et je réfléchissais déjà à l'attitude à adopter en cas d'esclandre. Mais non; curieusement, cette idée ne lui avait visiblement pas effleuré l'esprit. Sven semblait s'y être attendu, et cela avait même l'air de le divertir. A mes regards scandalisés, il répondait par de brefs coups d'œil amusés. Il avait calculé son coup, et prévu d'avance les réactions des autres protagonistes.

Entre sa mère et lui régnait une tension plus inquiétante; je devinai qu'elle savait, ou du moins, qu'elle soupçonnait quelque chose, mais elle gardait néanmoins le silence. Je crus tout d'abord que c'était en raison de notre présence permanente à ses côtés ou à ceux de son époux, mais à l'heure du déjeuner, Sven et moi nous retrouvâmes seuls avec la gouvernante. Je pensai qu'elle profiterait de cette occasion pour tout dire à Zimmer, mais, lorsque nous les revîmes, leur attitude demeurait inchangée; il me parut évident que l'ancien SS ne savait toujours rien. Je me demandai ce qui pouvait bien la pousser à se taire; ce que j'avais pu entrapercevoir du personnage me faisait douter du fait que l'amour maternel pût être la raison de son silence. Elle n'aurait sans doute pas hésité une seule seconde à livrer son fils en pâture à Zimmer, comme elle l'avait fait pour son défunt mari. D'autant que si le pauvre Jens n'avait fait qu'obéir à un sentiment patriotique, Sven, lui, avait tout de même assassiné sa propre sœur. Je me surpris à songer que mon ami aurait sans doute mérité le sort atroce qui lui pendait au nez entre les mains d'un homme comme Günther Zimmer. Cependant, il me semblait que l'ancien Wiking méritait tout autant celui, non moins cruel, que lui réservait son beau-fils. Tous deux étaient des meurtriers, tous deux avaient sur les mains le sang de victimes innocentes. J'en avais conscience mais, malgré cela, je ne pouvais m'empêcher de prendre fait et cause pour Sven. Peut-être était-ce parce que lui n'avait jusque là pris qu'une seule vie, alors que Zimmer en avait sans doute ôté des dizaines, peut-être même des centaines, directement ou non.

Ou peut-être parce que l'odeur du sang ajoutait un piquant envoûtant à son capiteux parfum de mystère, et que, nourri de son addictive essence, je prenais déjà goût à cette saveur nouvelle.

C'est Old-Luck-Oie qui l'a dit.

Vous avez un commentaire à faire?

Déposez-tout ici, je vous prie.

Par Hékate le Mercredi 12 mai 2010 à 21:40
Il est au sirop pour enfant ,( une prescription )ça ne lui plait point...à ce cher A. Et moi ,prête à l'envol...!!!
votre Magicienne
Par Hékate le Lundi 17 mai 2010 à 21:30
Le breuvage fût enchanteur, le sang de la Plaie s'infuse en mon âme , je suis "ailleurs" tout en étant là où je ne suis pas tout à fait ...
Mes pensées se sont tournées vers Vous ,car votre Dame Magicienne n'oublie point qui elle porte en son coeur ...
Par Hékate échevelée le Mardi 18 mai 2010 à 19:38
J'essaie depuis midi de laisser ici mon paquet de mots ,en vain.
Nouvel essai pour vous dire que votre missive est entre mes mains frémissantes...
 

Déposez-tout ici, je vous prie.









Commentaire :








Votre adresse IP sera enregistrée pour des raisons de sécurité.
 

<< Page précédente | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | Page suivante >>

Créer un podcast