Mercredi 26 mai 2010 à 1:44

J'ai appris à 13 ans ce qu'était un déséquilibré.

Bon bien évidemment, il y avait mon père, ce cas tout particulier qui m'a appris que oui, on pouvait être sénile avant 50 ans. Et que oui, on pouvait être sénile et procréer quand même (bon, après faut voir ce qu'il a procréé, et comment il a joué au Roi Lion en exhibant fièrement à tout le quartier son rejeton néandertalien pourvu, à tout juste trois semaines, d'une pilosité à faire pâlir Sébastien Chabal... 50% de mon ADN en commun avec ce ramassis de tarés, franchement, parfois, je peine à y croire).

Mais voilà, ce genre de spécimen tient plus du fieffé connard que du vrai vrai déséquilibré. On mettra ça sur le compte du démon de midi (qui, dix ans après, a sérieusement l'air de vouloir s'attarder pour le thé, mais passons). Moi, je vous parle d'un vrai taré, un vrai de vrai, qui a sévi à peine un peu plus tard que mon géniteur (je reviendrai sur le cas de celui-ci un de ces jours).

Il y a six ans de ça, quand j'écoutais les orages comme celui qui est en train de gronder ce soir, avec le ciel violet au crépuscule, le martèlement de la pluie d'été, froide et bienfaisante, et tout l'ensorcelant apparât de ces nuits électriques, je le faisais avec mon téléphone portable à la main. F. aimait, lui aussi, écouter les orages. C'est tout ce que je lui reconnais encore, sa sensibilité. Un écorché vif, inoffensif pour qui a les épaules de l'assumer je pense. Involontairement dangereux. Bref, il aimait donc écouter les orages, et moi aussi, alors soit en s'appelant, soit (le plus souvent) par sms, nous profitions ensemble des déluges qui s'abattaient simultanément sur son village et le mien, pourtant distants de quelques 200 km. Entre deux commentaires sur la furie des éléments déchaînés, nous échangions... Comment appeler ça? Pour moi, les relations sociales s'étaient toujours limitées au cercle (réduit) de ma famille. Eprouver une affection quelconque pour quelqu'un d'extérieur était quelque chose de nouveau. Je n'étais pas amoureuse de lui, mais j'y étais tout de même très attachée, nous avions à l'époque beaucoup en commun (ce qui aurait dû m'inquiéter). Et je le lui disais. Visiblement, c'était payé de retour, de triple retour même.

J'avais 13 ans, et lui 22. J'avais déjà un caractère très instable, et me rebellais inconsciemment contre la phagocytose qu'il m'infligeait, probablement sans s'en rendre compte. Avec le recul, je crois qu'à ce moment là j'avais déjà compris à qui j'avais affaire. Aussi, il m'arrivait de l'incendier et de le bouder des jours, voir des semaines durant, pour des motifs dont je ne me souviens plus. Dans ces moments là, c'étaient des messages suppliants, des "Je ne veux pas te perdre petit P." (parce que oui, nous y allions aussi de nos petits surnoms débiles)... Et parfois, spontanément, pour rien, je recevais à l'improviste des "Je t'aime énormément". Point barre. J'avoue que ça me laissait de marbre, je trouvais même parfois son langage limite effrayant.

Il faut savoir qu'à côté de ça, c'était un garçon très gentil, mais incroyablement pessimiste. J'ai d'ailleurs conservé de lui, outre ma vénération à l'égard de Ville Valo, un certain goût pour le sarcasme. Il fallait toujours qu'il tourne tout au caustique, sa devise était d'ailleurs, je cite: "Wannadie, negative generation". Il se sentait seul, n'avait pas d'amis, vivait dans une famille de tarés, ne supportait pas son boulot... J'aurais dû être sévèrement rasée par ses lamentations constantes mais à l'époque, crise d'adolescence oblige, j'étais pareille. Nous échangions donc quelques mots plus ou moins doux et nous épanchions chacun sur l'épaule compatissante de l'autre, dans un simulacre vomitif d'amour réciproque que j'associe encore, allez savoir pourquoi, au ciel violet des soirs d'orage, à l'odeur du sel dans l'air, et au grondement du tonnerre.

Puis vint M. M., sa reine de coeur, son "amie" tout d'abord, qu'il allait voir durant des semaines en me laissant sans nouvelles. Je le savais insomniaque, et passais la plupart de mes nuits pendue avec lui au téléphone; ce fut dès lors terminé. Lorsque sa relation avec la demoiselle s'officialisa, je fus très vexée de l'apprendre avec un mois de retard par une indiscrétion d'un ami commun. Je n'ai jamais trop compris pourquoi il me l'a caché, alors que d'après ses dires je comptais à ses yeux; un bonheur ne se partage-t-il pas avec ceux qu'on aime?

Une fois de plus, l'ami en question m'apprit plus tard qu'il avait l'impression que j'étais "l'officielle" qu'il laissait tomber pour "la nouvelle venue". N'ayant jamais été amoureuse de lui et m'étant encore moins considérée comme sa petite amie (et pour cause! neuf ans d'écart à cet âge-là, tout de même...), sa réaction, suite à ces explications, m'est apparue plus nébuleuse que jamais.

Bref. Presque cinq ans à vivre sur des regrets, sur de la frustration et des non-dits. Jusqu'à essayer de me rappeler quelle pouvait bien être la dernière conversation que nous avions eue... Entre temps, pour la première (et la dernière) fois de ma vie, j'ai été accro à quelqu'un au point de me damner (tout ça est mort récemment), mais il a fallu que la demoiselle soit au moins aussi ingérable que lui. Je lui ai vendu mon âme, elle l'a encore je crois, et il faut bien lui reconnaître qu'elle en prend le plus grand soin. Mais loin de moi.

Bref, en quatre ans et des poussières, j'ai vécu d'autres choses, connu d'autres gens. Puis un jour, ô miracle, la fantaisie me prend de taper son nom sur Facebook. Je le trouve. Sur un coup de tête, je l'ajoute. Toute la journée qui suit, j'appréhende, le coeur battant, de savoir s'il m'aura acceptée ou non. Je constate en rentrant qu'il l'a fait, mais, curieusement, n'en suis pas particulièrement ravie. Je l'ajoute; il me répond.

"Tu es la soeur de ____, n'est-ce pas?"

Ok... Il faut savoir qu'avant qu'il ne se mette en tête que nous étions en couple, il a discuté un ou deux mois avec ma soeur et l'a draguée (ou s'est laissé draguer, ma soeur ayant toujours eu un fort potentiel à prendre mon cercle d'amis pour un vivier).

"Oui, je ne marque pas beaucoup les esprits, je sais."

"Ah... J'étais sûr que tu répondrais ça, j'ai failli te dire petit P., mais je me suis dit que si ce n'était pas toi j'aurais l'air con..."


Il confirme donc qu'il n'était pas certain de m'avoir reconnue... Croyant se rattraper, il s'enfonce. Je continue néanmoins de lui parler. Il a toujours la même adresse MSN, j'en ai changé quatre ou cinq fois depuis.
Nous conversons:

"Tu sais, ma vie sentimentale est un échec, j'ai tout foiré avec M., je suis revenu chez mes parents, mon boulot c'est de la merde..." Je m'aperçois que j'ai grandi, évolué, alors qu'il en est resté au même point. Ses lamentations m'ennuient pour de bon, désormais. Mais le coup de grâce, c'est lorsque je me connecte le soir de Noël pour lui souhaiter un joyeux réveillon:

"Oh tu parles... Y'en a pas un qui a pensé à me faire un cadeau, ambiance pourrie, mes parents peuvent pas se blairer, je vais devoir passer le réveillon à regarder des Disney avec mes neveux..." Il vous glisse au passage que des amis lui ont proposé de sortir, et quand vous lui demandez pourquoi il décline, il trouve le moyen de répondre que "ce sont des cons, il ne peut pas blairer leurs tronches..." Tout ça pour justifier le fait qu'il préfère passer un réveillon merdique, qui lui fournira une excellente raison de se plaindre, plutôt qu'une soirée agréable sans la moindre raison de râler. Ce sont des connards qu'il avait pourtant qualifiés d'amis trois lignes plus tôt... Bref, j'ai brusquement réalisé que durant cinq ans je n'avais rien raté, et que disparaître de ma vie  a de loin été la meilleure de toutes les initiatives qu'il avait pu prendre jusqu'alors. Je lui ai dit que j'allais manger, "ok, à plus", je l'ai bloqué, supprimé de mes contacts MSN et de mes amis Facebook, je me suis déconnectée, et suis allée réveillonner tranquillement en famille.

Depuis, l'écoute d'un morceau de HIM ne me serre plus le coeur.

Pas plus que le grondement du tonnerre.
 

Musique: HIM - The Sacrament

C'est Old-Luck-Oie qui l'a dit.

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Déposez-tout ici, je vous prie.

Par Hékate le Lundi 7 juin 2010 à 9:26
Le retour en mon antre commence sur le tissage de vos mots dévidés en orageuses réflections .
La paresse est mienne ce matin...La scène de ces jours- éclairs où coulaient des rayons de soleil ,sous les ponts de mes si proches souvenirs me laissent des langueurs .Les heures heureuses passent toujours trop vite...
votre H.
Par yaqov-eleutherion le Mardi 8 juin 2010 à 4:46
Avec en filigrane le constat d'un gâchis, un beau récit de délivrance. J'ai relu cet article plusieurs fois et j'ai beaucoup aimé.
Par Hékate le Samedi 12 juin 2010 à 15:10
Jamais missive ne fût si prompte ! Portée par les éclairs sans doute à la vitesse de la foudre !!!
Votre Dame Lunaire Enchantée :)
Par Hékate le Vendredi 18 juin 2010 à 10:02
Le sort des petis monstres est rassurant :)
Ce n'est point si facile de donner une chance à ces "diablotins " surtout à l'approche des vacances .
votre H.
Par Hékate le Dimanche 27 juin 2010 à 11:11
Par ces trente degrés ,les corvidés apprécient douches et bains :)
Vous espérant dans la fluidité des chaudes nuits .
Dame Hécate
Par Hékate le Jeudi 8 juillet 2010 à 9:43
Avant la montée de la température ,je viens de lire vraiment votre texte...C'est un tableau des complexités des relations humaines avec une dose d'humour acide suavement pertinent .
Ah! ...
Par Hékate le Lundi 26 juillet 2010 à 14:29
Plaiethore descend dans l'arène ,attend des opinions sur un sujet animalier ...Si jamais le thème vous inspire je vous chuchote la nouvelle.
votre H.
 

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