Dimanche 19 septembre 2010 à 2:49

Je voulais, pour une fois, écrire un article où j'aurais dit sans trop de mal ce que j'avais à dire. Mais, la fatigue aidant, je perds mes mots, plus encore qu'à l'accoutmée.

Il m'a semblé que cet après-midi était passé comme un éclair, pourtant en rentrant chez moi, il y a deux heures de ça, j'ai eu l'impression de ne pas y être revenue depuis trois jours.

C'est en gardant la progéniture dite "du haut du panier" (comprendre: superviser les jeux et ramasser les débris divers semés par le fils d'un notable très riche du coin et ses amis tandis qu'ils font la fête) que l'idée m'a frappée, et depuis, elle me taraude. Car, bien sûr, quelqu'un l'a déjà exploitée, comme d'habitude, en beaucoup mieux.

Je n'ai jamais eu un contact facile avec les enfants, et cet état de fait remonte au temps où j'en étais moi-même une. J'ai toujours eu très peur de l'aisance avec laquelle ils ouvrent les portes de leur univers intérieur; peur de me laisser prendre au jeu et d'à mon tour révéler le mien. J'ai toujours regardé les enfants jouer de loin sans jamais me mêler à eux, à l'exception d'une poignée mioches gardés par la nourrice qui vivait en face de chez moi et avec lesquels j'ai grandi sans m'en apercevoir. L'un d'eux est aujourd'hui batteur d'un groupe qui commence à se faire une renommée et, quoique nos rapports eussent toujours été électriques, je ne puis m'empêcher de repenser à chaque fois que je le vois sur les planches, à cette époque où nous babillions à peine et, pourtant, nous insultions déjà.

Bref. Je n'ai, donc, jamais été à l'aise avec les enfants. Pourtant, quand le notable mentionné plus haut a annoncé qu'il en attendait treize pour fêter le dixième anniversaire de son fils, ma mère - qui tient ce monsieur en très haute amitié, notamment pour sa générosité et sa disponnibilité envers notre famille - et moi-même avons proposé notre présence sur les lieux de ladite fête, un grand domaine à la sortie du village, afin de superviser les jeux de ces jeunes messieurs.

Il s'est avéré que seulement six des treize garçons prévus sont venus. Cela dit, comme nous nous en sommes bien vite aperçus, la présence de sept adultes n'était pas superflue. Sept garçons de dix ans, cela court, bouge dans tous les sens, joue, se dispute, bref, vacille sans cesse entre l'amusant et le cauchemardesque.

On fait les présentations; enfants de notables, de propriétaires terriens, de magistrats, et même de futurs comte et vicomte.

Bien évidemment, cela n'accroche pas. Cela n'a jamais accroché avec le fils du maître des lieux, pour des raisons que je tairai par sympathie et respect à l'égard de son père. Quant aux autres... Un abruti quasi-néandertalien, le petit comte en devenir qui est un insupportable je-sais-tout et un autre que j'avais l'heur de connaître, et dont les parents, propriétaires terriens parvenus et sans le sou, n'on rien trouvé de mieux à lui léguer qu'une mauvaise foi ahurissante, un orgueil démesuré et une rudesse crasse et toute paysanne qui essaie sans succès de se dissimuler derrière des caricatures de bonnes manières.

Il se passe bien quelque chose, à un moment donné, un petit courant positif qui circule brièvement avec un tout petit bonhomme qui devait tout juste peser ses trente kilos. Trop vif, trop intelligent, trop posé aussi; je prends peur et me ferme. Le jeune homme, dans une attitude beaucoup plus mature que la mienne, abandonne donc ses tentatives de me faire sortir de mon trou et passe à autre chose.
Passe l'heure du goûter, la chasse au trésor qui aboutit à la découverte, entre autres, de figurines de caoutchouc à l'effigie des catcheurs de SmackDown (Edge, Undertaker et je ne sais plus qui). La nuit commence à tomber et les garçons, ne pouvant plus jouer dehors, se réfugient sur les trois consoles de jeu installées dans le salon pour l'occasion. C'est à ce moment là que, de façon complètement improbable, j'ai fait la connaissance de A..


A.voulait dégommer du zombie dans House of the Deads: Overkill, mais il se trouve que la Wii est déjà occupée par deux amateurs plutôt tenaces de SmackDown Vs. Raw. A. s'ennuie, donc. Son ascendance aristocratique - c'est, je le rappelle, un futur vicomte - ne lui confère aucune supériorité sur ses camarades et ne pèse rien dans la lutte âpre que les forces en présence livrent pour l'accès à telle ou telle plateforme de jeu, aussi sort-il sur la terrasse où je me trouve avec ma mère et les autres adultes. Sur ses doigts sont fichées les marionnettes à l'effigie des catcheurs, avec lesquelles il s'amuse sans nous prêter d'attention particulière.

J'ai eu le malheur de le regarder faire, et de sourire.

A partir de ce moment-là, toute la soirée n'a été que cela. Il l'a passée à me montrer de spectaculaires combats livrés entre ses doigts, sur un rebord de canapé ou un balcon qui se changeaient pour l'occasion en rings assiégés par une foule survoltée. Il était tout celà à la fois, les combattants, l'arbitre, le commentateur, le décor, le public... Et le petit garçon qui jouait à être tout cela, ainsi qu'il me le rappela en s'interrompant soudain, en pleine fièvre du jeu, pour me demander d'un air grave: "Ca va, je ne t'ennuie pas?".

C'est à ce moment là que j'ai réalisé. Et que j'ai répondu le plus sérieusement du monde: "Pas du tout".

Il faut dire que, s'il est vrai que je n'étais pas particulièrement passionnée par les exploits bruyants des lutteurs de caoutchouc, l'observation du sujet, en revanche, requérait toute mon attention. Un garçon de onze ans, l'aîné des jeunes messieurs présents, singulièrement blond, singulièrement pâle et, il faut le dire, singulièrement beau. A tel point que j'ai d'abord cru que c'était cela qui le distinguait d'emblée des autres membres du groupe. Singulièrement intelligent, aussi; réfléchi, sensé, calme et posé, mais sans cette assurance qui, chez son camarade, m'avait mise mal-à-l'aise. Lui, à la différence de l'autre, ne me donnait pas l'impression de s'abaisser à ma portée, mais venait vers moi comme un égal (ce que font rarement les enfants; ils vous regardent toujours de trop haut, ou de trop bas). Je jouais les monstres à cinq bras terrassés par les combattants, et il réfléchissait, tout en mangeant ses nuggets, à l'élaboration de nouveaux coups dont il venait toutes les deux minutes me faire la démonstration aux cuisines. De mon côté, je me prêtais au jeu, commentais les coups, discutais durant ses rares moments de lucidité de jeux vidéo ou de cinéma. Il avait trouvé une partenaire de jeu qui lui convenait mieux que ses camarades habituels, si bien que, lorsqu'il eut enfi n accès à House of the Deads: Overkill, il n'y joua que peu de temps avant de revenir vers moi, tous catcheurs dehors. Et cela reparit, jusqu'à l'arrivée de sa mère, vers 22h.
 
J'ai parlé de moments de lucidité; en réalité, c'étaient des éclairs de lucidité, car, comme je ne tardai pas à m'en apercevoir, il n'était plus le même lorsqu'il s'immergeait dans l'univers théâtre de ses combats. Quelque chose s'allumait dans le gris-bleu de ses yeux transparents, une mèche presque blanche se dressait sur le front pâle, les joues blêmes s'empourpraient et, de façon inexplicable, il me semblait que toute sa physionomie changeait. Il est vrai que de nombreux enfants adoptent dans le jeu des comportements qu'ils n'auraient pas en temps normal, mais de là à subir un tel changement physique... Comme s'il était soudain radicalement différent tout en restant le même... Rien qu'en y repensant, seule en pleine nuit dans ma salle à manger, j'en ai la chair de poule.

Bref. Blond, blafard, beau, intelligent et visiblement sévèrement atteint aux niveaux psychologique et émotionnel, affligé d'un petit je-sais-tout, d'un imbécile, d'un petit prétentieux méchant... "Il faut que j'en fasse quelque chose", me suis-je aussitôt dit. Mais bien entendu, j'imagine que ce "quelque chose", quelqu'un l'a déjà fait, avant, et mieux.


Musique: HIM - Love Metal (full album)
 

C'est Old-Luck-Oie qui l'a dit.

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Par Hékate le Dimanche 31 octobre 2010 à 19:29
Oh! Oh!...Blond ,intelligent et prétentieux...et doté d'atavisme émotionnel ...:)
ça promet !
 

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Commentaire :








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