Mardi 9 mars 2010 à 3:27

L'atmosphère même de l'appartement était encombrée. Les parfums entêtants des épices se mêlaient aux riches effluves de la terre, tandis que des relents souffrés s'accumulaient dans les recoins, enchevêtrés comme des membres nébuleux derrière un voile ténu de senteurs chimiques: térébenthine, encre synthétique et White Spirit. Séraphine crut même distinguer, discrets mais bien présents, de vagues remugles de café rance et de chair morte. De plus en plus perplexe, elle enjamba en frissonnant un chevalet renversé.

Il était impossible de faire un pas sans trébucher sur quelque chose. Partout où elle posait son regard, elle ne voyait que cartons éventrés, chevalets plus ou moins debout, toiles inachevées, papiers épars, mortiers, marteaux, plumes... Des flacons dont elle préférait ignorer le contenu s'entassaient dans un vieil évier en Inox. Les armoires et placards de cuisine vomissaient des piles de livres de toutes époques, et la conservatrice de musée qu'elle était ne put s'empêcher de distinguer dans la masse quelques véritables trésors - à condition qu'ils fussent authentiques. Des boîtes de fusains et de carrés à croquis exhibaient leur contenu qui, curieusement, ne semblait pas prendre la poussière. La jeune femme nota alors la surprenante propreté de l'endroit. Pas une tache sur le sol, ni un grain de poussière, encore moins une toile d'araignée. Il brique son foutoir tous les jours ou quoi? s'étonna Séraphine, oubliant d'un coup son combat permanent contre la grossièreté. Même les cadres aux murs étaient parfaitement astiqués. Le long des parois tapissées de papier peint jaune pâle s'alignaient des copies tableaux de maîtres - Veermer, Dürer, Millet, Matisse, Monet, De Vinci... -  a priori impossibles à distinguer de leurs originaux. Entre les toiles rutilaient des enluminures perses, des arabesques maures, des estampes japonaises et des dorures gothiques. Séraphine crut même reconnaître quelques pages de l'Ars Moriendi et du Codex Palatinus Germanicus. Elle se demanda si tous ces chefs d'œuvre étaient de la main de l'occupant des lieux, ou s'il entreposait les travaux de collègues - voire des originaux. Cà et là traînaient également des toiles inachevées qu'elle supposa à bon droit être sorties tout droit de l'imagination du peintre. La plupart d'entre elles représentaient des scènes de bataille médiévales sous un crépuscule apocalyptique. Décidément très mal à l'aise, elle se hâta d'enjamber les derniers obstacles qui la séparaient de la pièce voisine.

Ce qui avait jadis dû être une chambre n'avait plus de porte depuis longtemps. Le plancher était un peu plus dégagé, quoique des piles de bric-à-brac eussent commencé à envahir les angles de la pièce. Un four à micro-ondes était posé sur un minuscule réfrigérateur, près d'une large corbeille d'osier où s'empilaient quelques vêtements soigneusement pliés, quoique froissés. Une porte au fond de la pièce était largement ouverte sur une minuscule salle de bains, qui contenait tout juste une douche italienne, des toilettes et un lavabo encombré de flacons de toutes sortes. Un sofa Empire abondamment rapiécé trônait au centre de la pièce, envahi par un monticule de couvertures de mauvaise qualité.surmonté d'un édredon déchiré en divers endroits. Avec une moue vaguement dégoûtée, elle souleva du bout des doigts un coin du duvet... et poussa un hurlement.

C'est Old-Luck-Oie qui l'a dit.

Vous avez un commentaire à faire?

Déposez-tout ici, je vous prie.

Aucun commentaire n'a encore été ajouté !
 

Déposez-tout ici, je vous prie.









Commentaire :








Votre adresse IP sera enregistrée pour des raisons de sécurité.
 

<< Page précédente | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | Page suivante >>

Créer un podcast